La vallée des gens heureux
Au début des années 2000 je travaillais en Espagne. L'Afrique me manquait encore tant les années que je venais d'y vivre avaient été riches et intenses. Heureusement le travail nous laissait la possibilité de partir souvent et le Maroc n'était pas loin. Il y aurait beaucoup de choses à raconter sur le Maroc, un pays magnifique, accueillant et très varié. Chaque voyage était différent : montagne, mer ou océan, désert, villes et campagne ... Un de ces voyages nous conduit, un peu par hasard, dans une vallée du Haut Atlas, la vallée des gens heureux : Aït Bougmess. Nous y avons trouvé des amis et y sommes retournés très souvent. Cette fois nous y retournons pour monter au MGoun, le deuxième sommet le plus haut du Maroc. Moins haut mais plus sauvage que le Toubkal sur lequel nous étions montés de nombreuses années avant avec mon ami Bruno lors d'un voyage en moto.
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Tout voyage au Maroc commençait par une escale devenue classique á Rabbat. Nous y avions des amis Belgo-Iraniens, connus en Côte d'Ivoire, avec qui nous partagions de nombreux excellents souvenirs. Pour atteindre l’Aït Bougmess, il fallait passer par Marrakech et sa fameuse place Djema Al Fana, devenue si touristique ces dernières années. En 1994 c’était déjà un mélange hétéroclite de ce qu’avait été ce lieu et le conte des milles nuits que l’on était en train de fabriquer. Beau et agréable malgré tout, Marrakech était rentrée dans une nouvelle ère, que certains Marocains des campagnes surnommaient déjà "Arnakech" eu égard aux prix pratiqués. De là, nous passions par les cascades d'Ouzoud.
Elles étaient encore isolées des grandes routes touristiques et les locaux venaient y profiter des fins de semaines en famille. Plongeons, baignade, singes parfois envahissants, une ambiance très conviviale de gens simples qui profitent des plaisirs simples de la vie. Je suppose que cela a dû changer également, les cascades ont dû être victimes de leur beauté.
Enfin une petite route serpentait sur les contreforts nord du Haut Atlas. Une route sinueuse comme le sont les routes de montagnes, étroites en diable, aériennes, spectaculaires. La moyenne horaire en payait un prix que le plaisir des yeux compensait amplement. Cette longue route coupait la vallée du monde extérieur et en faisait un paradis au cœur des montagnes. Deux cols plus tard, on atteignait presque à regret, tant la route était belle, le village d’Omar. Au centre d’une vallée fertile, au cœur de l’Atlas se niche l’Aït Bougmess, une vallée où nous étions heureux à chacun de nos séjours. Cette fois n’allait pas être l’exception.
L’accueil, dans la famille d’Omar, était toujours extraordinaire, nous arrivions totalement à l’improviste car il y avait un seul téléphone pour toute la vallée. Nous étions vite repérés, le temps de stopper à l’épicerie pour acheter quelques cadeaux d’arrivée, Omar ou un de ces frères ne manquait jamais d’être sur la route pour nous souhaiter la bienvenue. Ne voulant pas déranger nous réservions en passant une chambre mais cela ne marchait jamais, il n’était pas question de loger ailleurs que chez nos amis qui, je soupçonne, nous libéraient la meilleure chambre. Que de soirées et de nuits fantastiques avons-nous passées dans cette maison du bonheur.
Le temps de saluer tout le monde, d’aller se laver à la rivière voisine et de s’installer un peu, le tajine était prêt. Nous avions toujours droit à des plats de fêtes, pourtant nos hôtes n’étaient pas riches. Quelle émotion, notre seule présence semblait être une fête pour eux.
Omar s’est rendu immédiatement disponible pour organiser notre randonnée. Il devait d’abord finir un travail dans un champ, je me suis mis au labourage pour l’aider, assisté de deux ânes récalcitrants que j’étais censé diriger. Je ne sais pas si j’ai fait gagner ou perdre du temps dans cette opération mais le champ était labouré à la tombée de la nuit, après une bonne journée de rigolade.
Le lendemain nous devions faire les provisions. C’est toujours l’occasion d’une grande balade à pied dans la vallée, immersion de verdure particulièrement agréable quand les arbres fruitiers sont en fleur. Le sucre d’un côté, les pâtes de l’autre, une pause chez un oncle, une autre chez un ami, j’adore ces longues journées de préparation où l’on a juste à se laisser prendre par le rythme. La vallée est irriguée par un système de canaux qui circulent entre de petits lopins de terre et les vergers. L’eau est abondante dégoulinant sur le versant nord de l’Atlas.
Une cousine venait d’accoucher, le soir nous devions passer féliciter les parents. Nous avons acheté un petit cadeau traditionnel qui n’était autre qu’un gros morceau de sucre taillé en pain. Lorsque nous sommes arrivés, il faisait déjà nuit, les maisons n’étaient éclairées que par la faible lueur des lampes à pétrole. Il y avait beaucoup de monde dans la maison autour d’une dame couchée dans son lit. Ma femme, qui devait offrir le sucre et féliciter la maman, cherchait désespérément le bébé. Il était caché et complètement entouré de bandages, tradition pour les 24 premières heures de sa vie.
Lever aux aurores pour charger les mules qui nous accompagnerons avec l’équipement et c'est parti pour une semaine de randonnée. Un frère d’Omar et son ami se sont proposés pour nous accompagner. Omar est le guide, il organise l’expédition qu’il voulait nous offrir depuis longtemps. Mohamed se charge des mules, celles-ci sont dociles tant que les chemins restent faciles, dans les zones de roches escarpées elles s'avèrent beaucoup plus difficiles à gérer. Le troisième compère s’occupe de la cuisine. C’est bien agréable, d’avoir des plats chauds et cuisinés pour recharger les batteries le soir. Notre rôle, ma femme et moi, reste très secondaire, essayer de suivre.La marche d’approche a duré plusieurs jours. Traversant des vallées perdues, passant des cols plus ou moins hauts nous cheminions vers l’objectif dans une bonne humeur constante. Le soir après s’être régalé des mets préparés par notre cuisinier les instruments de musique sortaient pour profiter encore un peu de la journée. Les nuits se passaient sous une tente commune où chacun profitait d’un sommeil réparateur. Parfois nous demandions l’hospitalité dans les villages, les soirées nous emmenaient la visite des habitants, nous apportant de petits cadeaux de bienvenue. En plus de nous héberger gratuitement !
Une nuit nous avons été accueillis dans un camp de nomades. Un peu par hasard, j’avais partagé je ne sais plus quelle nourriture que nous consommions rapidement en marchant avec un jeune garçon croisé sur le chemin. Le soir, le chef du campement nous a interceptés pour nous inviter. Nous n’avons pas perdu l’occasion de découvrir leur vie et de goûter quelques spécialités, souvent issues du chameau. Lait et viande notamment. Ils faisaient beaucoup de choses comme les Touaregs, en particulier la cuisson sous le sable, le pain ou la chèvre les jours de fête. Nos amis respectaient beaucoup ces nomades, des gens pauvres mais généreux.
Quand nous montrions des signes de fatigue, Omar demandait si nous étions «pièces détachées », une façon de dire fatigués, ou plutôt très fatigués. Notre fierté nous faisait refuser l’adjectif jusqu’au moment où cela devenait impossible à nier. Plus haut, le vent nous arejoints quand nous avons commencé à prendre de l’altitude, un vent terrible qui rendait la randonnée et les soirées moins agréables. Heureusement nous arrivions au refuge qui sert de base à la montée du M’Goun, qui si mes souvenirs sont exact signifie « vent ». L’ascension n’est pas spécialement difficile quand on est un peu montagnard mais il y a, avant la montée finale, une arête particulièrement exposée au vent sur laquelle il faut faire attention.
Au refuge nous avions perdu l’intimité de notre petit groupe mais l’ambiance était très cordiale. Un autre couple de Français était là avec leur guide. Nous étions en altitude, il faisait froid. Il y avait des douches, l’eau était chauffée au gaz. A un tour de rôle, d’abord les femmes puis les hommes pouvaient aller en profiter. Quand se fût notre tour, j’eus la chance, dû à mon habitude des voyages dans le désert où l'eau était précieuse, d’être rapide. Il s’était produit une fuite de gaz dans ce local fermé, je suis sorti avec un léger mal de tête mais celui qui était avec moi, restant un peu plus, s’est retrouvé malade au point que son état nous a préoccupés jusqu’au matin suivant.
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L'approche
Tout voyage au Maroc commençait par une escale devenue classique á Rabbat. Nous y avions des amis Belgo-Iraniens, connus en Côte d'Ivoire, avec qui nous partagions de nombreux excellents souvenirs. Pour atteindre l’Aït Bougmess, il fallait passer par Marrakech et sa fameuse place Djema Al Fana, devenue si touristique ces dernières années. En 1994 c’était déjà un mélange hétéroclite de ce qu’avait été ce lieu et le conte des milles nuits que l’on était en train de fabriquer. Beau et agréable malgré tout, Marrakech était rentrée dans une nouvelle ère, que certains Marocains des campagnes surnommaient déjà "Arnakech" eu égard aux prix pratiqués. De là, nous passions par les cascades d'Ouzoud.
Elles étaient encore isolées des grandes routes touristiques et les locaux venaient y profiter des fins de semaines en famille. Plongeons, baignade, singes parfois envahissants, une ambiance très conviviale de gens simples qui profitent des plaisirs simples de la vie. Je suppose que cela a dû changer également, les cascades ont dû être victimes de leur beauté.
Enfin une petite route serpentait sur les contreforts nord du Haut Atlas. Une route sinueuse comme le sont les routes de montagnes, étroites en diable, aériennes, spectaculaires. La moyenne horaire en payait un prix que le plaisir des yeux compensait amplement. Cette longue route coupait la vallée du monde extérieur et en faisait un paradis au cœur des montagnes. Deux cols plus tard, on atteignait presque à regret, tant la route était belle, le village d’Omar. Au centre d’une vallée fertile, au cœur de l’Atlas se niche l’Aït Bougmess, une vallée où nous étions heureux à chacun de nos séjours. Cette fois n’allait pas être l’exception.
La famille Berbère
L’accueil, dans la famille d’Omar, était toujours extraordinaire, nous arrivions totalement à l’improviste car il y avait un seul téléphone pour toute la vallée. Nous étions vite repérés, le temps de stopper à l’épicerie pour acheter quelques cadeaux d’arrivée, Omar ou un de ces frères ne manquait jamais d’être sur la route pour nous souhaiter la bienvenue. Ne voulant pas déranger nous réservions en passant une chambre mais cela ne marchait jamais, il n’était pas question de loger ailleurs que chez nos amis qui, je soupçonne, nous libéraient la meilleure chambre. Que de soirées et de nuits fantastiques avons-nous passées dans cette maison du bonheur.
Le temps de saluer tout le monde, d’aller se laver à la rivière voisine et de s’installer un peu, le tajine était prêt. Nous avions toujours droit à des plats de fêtes, pourtant nos hôtes n’étaient pas riches. Quelle émotion, notre seule présence semblait être une fête pour eux.
Omar s’est rendu immédiatement disponible pour organiser notre randonnée. Il devait d’abord finir un travail dans un champ, je me suis mis au labourage pour l’aider, assisté de deux ânes récalcitrants que j’étais censé diriger. Je ne sais pas si j’ai fait gagner ou perdre du temps dans cette opération mais le champ était labouré à la tombée de la nuit, après une bonne journée de rigolade.
Le lendemain nous devions faire les provisions. C’est toujours l’occasion d’une grande balade à pied dans la vallée, immersion de verdure particulièrement agréable quand les arbres fruitiers sont en fleur. Le sucre d’un côté, les pâtes de l’autre, une pause chez un oncle, une autre chez un ami, j’adore ces longues journées de préparation où l’on a juste à se laisser prendre par le rythme. La vallée est irriguée par un système de canaux qui circulent entre de petits lopins de terre et les vergers. L’eau est abondante dégoulinant sur le versant nord de l’Atlas.
Une cousine venait d’accoucher, le soir nous devions passer féliciter les parents. Nous avons acheté un petit cadeau traditionnel qui n’était autre qu’un gros morceau de sucre taillé en pain. Lorsque nous sommes arrivés, il faisait déjà nuit, les maisons n’étaient éclairées que par la faible lueur des lampes à pétrole. Il y avait beaucoup de monde dans la maison autour d’une dame couchée dans son lit. Ma femme, qui devait offrir le sucre et féliciter la maman, cherchait désespérément le bébé. Il était caché et complètement entouré de bandages, tradition pour les 24 premières heures de sa vie.
Le M'goun
Lever aux aurores pour charger les mules qui nous accompagnerons avec l’équipement et c'est parti pour une semaine de randonnée. Un frère d’Omar et son ami se sont proposés pour nous accompagner. Omar est le guide, il organise l’expédition qu’il voulait nous offrir depuis longtemps. Mohamed se charge des mules, celles-ci sont dociles tant que les chemins restent faciles, dans les zones de roches escarpées elles s'avèrent beaucoup plus difficiles à gérer. Le troisième compère s’occupe de la cuisine. C’est bien agréable, d’avoir des plats chauds et cuisinés pour recharger les batteries le soir. Notre rôle, ma femme et moi, reste très secondaire, essayer de suivre.La marche d’approche a duré plusieurs jours. Traversant des vallées perdues, passant des cols plus ou moins hauts nous cheminions vers l’objectif dans une bonne humeur constante. Le soir après s’être régalé des mets préparés par notre cuisinier les instruments de musique sortaient pour profiter encore un peu de la journée. Les nuits se passaient sous une tente commune où chacun profitait d’un sommeil réparateur. Parfois nous demandions l’hospitalité dans les villages, les soirées nous emmenaient la visite des habitants, nous apportant de petits cadeaux de bienvenue. En plus de nous héberger gratuitement !
Une nuit nous avons été accueillis dans un camp de nomades. Un peu par hasard, j’avais partagé je ne sais plus quelle nourriture que nous consommions rapidement en marchant avec un jeune garçon croisé sur le chemin. Le soir, le chef du campement nous a interceptés pour nous inviter. Nous n’avons pas perdu l’occasion de découvrir leur vie et de goûter quelques spécialités, souvent issues du chameau. Lait et viande notamment. Ils faisaient beaucoup de choses comme les Touaregs, en particulier la cuisson sous le sable, le pain ou la chèvre les jours de fête. Nos amis respectaient beaucoup ces nomades, des gens pauvres mais généreux.
Quand nous montrions des signes de fatigue, Omar demandait si nous étions «pièces détachées », une façon de dire fatigués, ou plutôt très fatigués. Notre fierté nous faisait refuser l’adjectif jusqu’au moment où cela devenait impossible à nier. Plus haut, le vent nous arejoints quand nous avons commencé à prendre de l’altitude, un vent terrible qui rendait la randonnée et les soirées moins agréables. Heureusement nous arrivions au refuge qui sert de base à la montée du M’Goun, qui si mes souvenirs sont exact signifie « vent ». L’ascension n’est pas spécialement difficile quand on est un peu montagnard mais il y a, avant la montée finale, une arête particulièrement exposée au vent sur laquelle il faut faire attention.
Au refuge nous avions perdu l’intimité de notre petit groupe mais l’ambiance était très cordiale. Un autre couple de Français était là avec leur guide. Nous étions en altitude, il faisait froid. Il y avait des douches, l’eau était chauffée au gaz. A un tour de rôle, d’abord les femmes puis les hommes pouvaient aller en profiter. Quand se fût notre tour, j’eus la chance, dû à mon habitude des voyages dans le désert où l'eau était précieuse, d’être rapide. Il s’était produit une fuite de gaz dans ce local fermé, je suis sorti avec un léger mal de tête mais celui qui était avec moi, restant un peu plus, s’est retrouvé malade au point que son état nous a préoccupés jusqu’au matin suivant.
Le lendemain il fallait redescendre, en deux jours d’une marche assez fatigante nous avons rejoint la maison d’Omar, dans la vallée. Nous étions "pièce détachée " mais heureux. Les plats étaient prêts pour nous faire honneur et profiter en famille de notre dernière soirée dans la vallée.

C’est les larmes aux yeux, tard dans la matinée du lendemain, que nous reprenions la petite route en direction de Rabat, ne sachant pas quand la vie nous gratifierait d’une nouvelle visite dans la vallée.