La fontaine
Au milieu du butin, une fontaine ornementale dormait. Elle ne s'était pas réveillée depuis mille ans, mais maintenant, empilée à côté des meubles, des candélabres en or, des tableaux et des couverts en argent que la foule avait emportés dans la maison après avoir tué le sage et toute sa famille, elle ouvrit les yeux et contempla le paysage. Sous la maison, un profond fjord creusé dans les montagnes. Il était assez profond pour permettre le passage de grands navires, et loin en contrebas – relié à la maison par un vieil escalier creusé à flanc de montagne – se trouvait un débarcadère que les pèlerins utilisaient pour venir voir le sage.
C'était une journée ensoleillée, mais pas trop chaude, car une forte brise soufflait du fjord depuis la mer. La fontaine – une magnifique œuvre représentant une jeune femme en haillons entourée de corbeaux – contemplait le fjord et pensa que c'était le plus beau spectacle qui soit. Elle ne fut nullement perturbée par les cris des villageois qui se disputaient sur le partage des trésors du sage. Elle songea à la beauté du fjord et le calme s'installa dans sa poitrine de bronze.
Soudain, elle fut violemment secouée lorsque l'aubergiste du village tenta de la transporter vers sa charrette tirée par un âne. Elle était lourde, et quatre hommes durent l'aider. On la plaça dans l'arrière-cour de l'auberge, face à un grand chêne et au tas de coquillages provenant de toutes les huîtres mangées là. C'était encore plus beau que le fjord.
Elle resta éveillée pendant deux ans, jusqu'au jour où l'aubergiste fut pendu au chêne avec cinq autres villageois. Deux jours plus tard, elle fut ramenée dans la maison du sage, où un nouveau sage s'était installé avec sa famille.
Elle décida de dormir encore mille ans.